Surendettement et bonne foi du débiteur : Cass. Civ. 2ème, 10 juin 2021 n° 20-13.597
Le surendettement constitue un fardeau pour les citoyens français.
Selon les chiffres de la Banque de France, 143 000 dossiers de surendettement ont été déposés en 2019 et 109 000 dossiers en 2020[1].
Depuis la loi Neiertz du 31 décembre 1989[2], le législateur français est intervenu afin de lutter contre le surendettement des particuliers.
Aujourd’hui, les tribunaux sont de plus en plus saisis des litiges relatifs à ce sujet. C’est dans ce contexte que s’inscrit l’arrêt de la deuxième chambre civile du 10 juin 2021[3].
En l’espèce, Madame L. a saisi la commission de surendettement des particuliers d'une demande tendant au traitement de sa situation de surendettement dans laquelle elle a déclaré les éléments actifs et passifs de son patrimoine conformément aux dispositions de l’article L. L721-1 du Code de la Consommation. La commission a déclaré recevable sa demande après avoir caractérisé la situation de surendettement.
Toutefois, la banque qui avait consenti un crédit à Madame L. a contesté la décision de la Commission de surendettement. En effet, Madame L. a vendu son bien immobilier acquis moyennant un emprunt consenti par la banque sans informer cette dernière ni de la vente ni de la perception des fonds. Le fruit de la vente a été affecté à des dépenses personnelles.
La banque estime que la demanderesse était de mauvaise foi. Par ailleurs, la bonne foi du débiteur constitue une condition sine qua non pour la recevabilité de son dossier devant la commission de surendettement.
En premier ressort, le Tribunal d’instance de Tarbes[4] a jugé que Madame L. était de mauvaise foi et que, par conséquent, sa demande de traitement des situations de surendettement des particuliers était irrecevable.
Devant la Cour de cassation, la demanderesse a prétendu qu’en matière de surendettement, la bonne foi est toujours présumée. En outre, elle estime que la vente d’un bien immobilier sans informer la banque et l’affectation des fonds à des besoins personnelles ne caractérisent pas la mauvaise foi.
N’étant pas convaincue par ces arguments, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi.
La Haute juridiction a eu l’occasion de rappeler qu’« en matière de surendettement, l'appréciation de la bonne foi du débiteur relève du pouvoir souverain du juge du fond ».
Il en découle que la Cour de cassation octroie une large marge de manœuvre aux juridictions du fonds. Les juges doivent apprécier in concerto la bonne foi du débiteur en cas de demande de traitement des situations de surendettement.
D’une part, le Tribunal d’instance de Tarbes a relevé que Madame L. « avait vendu le bien immobilier acquis au moyen d'un emprunt souscrit auprès de la société BNP Paribas Personal Finance sans informer cette dernière ni de la vente ni de la perception des fonds ».
D’autre part, le Tribunal a constaté que les fonds issus de la vente ont été affectés « à d'autres dépenses telles l'achat d'un véhicule, d'éléments d'équipement et d'habillage des enfants ».
Ainsi, les juges tarbais ont pu considérer, dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation que Madame L. était de mauvaise foi.
La deuxième chambre civile a validé la qualification retenue par les juges du fonds. Ces derniers ont déduit l’absence de bonne foi de la débitrice à travers des éléments concrets.
Cette solution est doublement justifiée au regard tant de la loi que de la jurisprudence.
De lege lata, la position de la Cour de cassation est conforme aux dispositions de l’article L. 711-1 du Code de la consommation qui définit la situation de surendettement comme étant « l'impossibilité manifeste de faire face à l'ensemble de ses dettes non professionnelles exigibles et à échoir ». Cet article dispose que « le bénéfice des mesures de traitement des situations de surendettement est ouvert aux personnes physiques de bonne foi ». A contrario, sont exclues du champ d’application du traitement des situations de surendettement, les personnes physiques de mauvaise foi.
Il est indéniable qu’aux termes de l’article 2268 du Code civil « la bonne foi est toujours présumée ». Toutefois, il s’agit une présomption simple. Ainsi, celui qui allègue la mauvaise foi peut prouver le contraire.
Dans l’affaire du 10 juin 2021, la vente d’un bien immeuble acquis au moyen d’un emprunt souscrit auprès d’une banque sans l’informer ainsi que l’affectation des fonds à des dépenses personnelles caractérisent la mauvaise foi du débiteur[5].
Cette solution est aussi compatible avec la jurisprudence antérieure. Depuis son arrêt du 4 avril 1991, la Cour de cassation[6] a jugé que « le bénéfice des procédures prévues par le titre Ier de la loi du 31 décembre 1989 est réservé aux débiteurs de bonne foi, laquelle se présume ; que son absence est appréciée souverainement par les juges du fond ; qu'en l'espèce, le tribunal d'instance a souverainement déduit des circonstances qu'il examine que M. X... n'était pas de bonne foi »[7].
En somme, la Cour de cassation a, de bon droit, fait triompher la solution selon laquelle la bonne foi constitue une condition cruciale pour la recevabilité d’une demande tendant au traitement des situations de surendettement.
[1] Banque de France, « Surendettement : comprendre la procédure », juillet 2021.
[2] Loi n°89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles, abrogée.
[3] Cass. Civ. 2ème, 10 juin 2021 n° 20-13.597, Inédit
[4] TI Tarbes, 19 décembre 2019.
[5] Le débiteur de mauvaise foi souhaite bénéficier notamment de la suspension et interdiction des procédures d'exécution diligentées à l'encontre de ses biens ainsi que des cessions de rémunération consenties par celui-ci et portant sur les dettes autres qu'alimentaires (article L. 722-2 du Code de la Consommation)
[6] Cass. Civ. 1re, 4 avril 1991, n° 90-04.042
[7] Dans le même sens V. Cass. Civ. 2, 2 juillet 2020 n° 18-26.213.