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Devoir de mise en garde et caution, Cass. Civ. 1re, 30 juin 2021, n° 19-25.239.

La banque est-elle toujours débitrice d’une obligation de mise en garde à l’égard de la caution ? La qualité de caution non avertie a-t-elle une influence directe sur les devoirs du préteur professionnel ? La responsabilité civile de la banque est-elle systématiquement engagée en cas d’absence de mise en garde de la caution ?

L’ensemble de ces questions a fait l’objet d’un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation rendu le 30 juin 2021. Le devoir de mise en garde de la banque à l’égard de la caution a été placé au cœur de cette décision.

En l’espèce, une banque a consenti, le 22 octobre 2008, un prêt immobilier à une société civile Immobilière (SCI). Le montant de ce prêt s’élève à 155 783,44 euros. Mme B. et M. S. se sont portés cautions. De même, ce prêt a été garanti par la Compagnie européenne de garanties et cautions (CEGC).

Suite à la déchéance du terme, la CEGC a payé à la banque la somme de 145 998,52 euros. Également, elle a assigné la SCI ainsi que Mme B. et M. S., ès-qualités de cautions, en paiement.

Pour leur défense, les cautions ont appelé la banque en intervention forcée en alléguant la violation de son devoir de mise en garde à l’égard d’une caution non-avertie.

La Cour d’appel de Nancy a donné raison aux cautions. Par son arrêt du 26 septembre 2019, elle a condamné la banque à les indemniser au titre d’une perte de chance de ne pas se porter cautions. La Cour d’appel a considéré que le préteur a manqué à son devoir de mise en garde. Par conséquent, la banque devait indemniser ce manquement par l’octroi d’une indemnité de 20 000 euros. Les juges nancéiens ont estimé que l’engagement des cautions « présentait un risque résultant du fait que leur taux d'endettement s'avérait élevé dans l'hypothèse où elles seraient amenées à se substituer à la SCI défaillante et que ces circonstances justifiaient que la banque les mette en garde ce qu'elle n'avait pas fait ».

Condamnée en appel, la banque s’est ainsi pourvue en cassation. Dans ces moyens, elle a invoqué l’absence du manquement à son devoir de mise en garde et la violation de l’ancien article 1147 du Code civil qui dispose que « le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part ».

Au visa de cet article, la première chambre civile a donné gain de cause à la banque. La Cour de cassation a censuré la décision de la cour d’appel qui avait retenu le manquement de la banque à son devoir de mise en garde à l’égard des cautions.

En effet, la Haute juridiction a jugé que « la banque n'est tenue à un devoir de mise en garde à l'égard de la caution non avertie que si, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté à ses capacités financières ou s'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, résultant de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur »[1].

Force est de constater que la Cour de cassation n’est pas favorable à un champ d’application large du devoir de mise en garde.

Il est important de noter que l’obligation de mise en garde invite le banquier à informer son client des risques encourus lors de l’opération bancaire[2]. En matière de crédit, le préteur doit notamment attirer l’attention de son client sur les risques d’endettement excessif[3].

Concernant la caution, la Cour de cassation a subordonné l’application du devoir de mise en garde à l’égard de la caution non avertie à l’existence de deux conditions alternatives.

D’une part, lorsque l’engagement de la caution n'est pas adapté à ses capacités financières, le devoir de mise en garde s’impose. Cette condition doit s’apprécier au moment de la naissance de l’acte de cautionnement.

Afin de se prononcer sur le caractère manifestement disproportionné de l’engagement, les juridictions font appel à un faisceau d’indices permettant de qualifier les capacités financières de la caution[4]. Sont pris en considération notamment sa situation patrimoniale, son salaire mensuel et ses charges.

Dans l’arrêt du 30 juin 2021, les juges du Quai de l'Horloge ont considéré que la Cour d’appel a pu préalablement constater que « l'engagement des deux cautions n'était pas manifestement disproportionné par rapport à leur revenus et patrimoine ». Par conséquent, cette première condition fait défaut

D’autre part, lorsqu'il existe un risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, la caution sera créancière d’une obligation de mise en garde. Il convient de préciser que le risque d’endettement résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.

 Il convient de souligner que les capacités financières de l’emprunteur s’apprécient par des éléments relatifs à ses revenus et ses charges. En l’espèce, la perception de loyers par l’emprunteur ont permis à la banque de déterminer sa capacité financière.

La Cour de cassation a considéré que le prêt consenti était adapté aux capacités financières de la SCI. Ainsi, cette seconde condition n’était pas remplie pour retenir une obligation de mise en garde.

Etant donnée l’absence des conditions susmentionnées, la première chambre civile a cassé et annulé l’arrêt de la Cour d’appel de Nancy en ce qu’il a dit que la banque a manqué à son obligation de mise en garde à l'égard des cautions.

Par cet arrêt, la Cour de cassation a confirmé sa position antérieure. Dans son arrêt du 5 mai 2021[5], la Chambre commerciale a jugé que « le crédit-bailleur est tenu à un devoir de mise en garde à l'égard d'une caution non avertie lorsque, au jour de son engagement, celui-ci n'est pas adapté aux capacités financières de la caution ou qu' il existe un risque de l'endettement né de la conclusion du crédit-bail garanti, lequel résulte de l'inadaptation dudit contrat aux capacités financières du crédit-preneur ».

 Par sa décision du 30 juin 2021, la Cour de cassation a confirmé la portée restreinte du devoir de mise en garde. Rationne personae, cette obligation ne s’impose qu’à l’égard de la caution non-avertie. Ratione materiae, le devoir de mise en garde ne vise que deux situations bien déterminées.

 

[1] Cass. Civ. 1re, 30 juin 2021, n° 19-25.239.

[2] Cass. Com., 5 novembre 1991, n° 89-18.005 ; Cass. Com., 9 novembre 2010, n° 09-71.065.

[3] Cass. Civ. 1re , 27 juin 1995, n° 92-19.212

[4] V. Cass. Com. 15 novembre 2017, n° 16-10.504.

[5] Cass. Com. 5 mai 2021, 19-21.468, Publié au bulletin

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